Vers la novlangue ?

orwellQu'est-ce que la "novlangue" ?  Pour ceux qui n'auraient jamais lu le très remarquable roman (d'anticipation ?) "1984" de George ORWELL (publié en 1949), la novlangue est la langue officielle d’Océania.

 

Inventée par Orwell, l’idée fondamentale de la novlangue était de supprimer toutes les nuances d’un language afin de ne conserver que des dichotomies qui renforcent l’influence de l’État. Un rythme élevé de syllabes est aussi visé, avec l’espoir que la vitesse des mots empêche la réflexion.
Elle est le résultat de simplifications lexicales & syntaxiques, destinées à rendre impossible l’expression d'idées subversives & à éviter toute formulation de critiques de l’État (la notion même de "critique" est supprimée).

 

Vous voyez où je veux en venir maintenant... ? :roll:

Vous y êtes ! 8)  J'ai parfois (souvent, à vrai dire !) la désagréable impression que nous ne sommes plus si éloignés de cette novlangue inventée par Orwell & des conséquences que cela entraine :hypno:

 

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J'ai toujours été horripilée par les phénomènes de mode linguistique. Toute cette vague de gens s'engouffrant tête baissée dans un mot, une expression, qui seront inlassablement répétés, casés à la moindre occasion, servis à toute les sauces jursqu'à écœurement.

Le mot ou l'expression en question étant au préalable vidé de tous son sens originel & de tout nuance qui pourrait permettre d'apprécier son juste maniement. Ne serait-ce que de par son utilisation totalement désordonnée qui lui retire tout crédit.

 

Il y a une loi simple en linguistique : moins on a de mots à sa disposition, plus on les utilise & plus ils perdent en précision.
Alain BENTOLILA, linguiste & professeur à l'université Paris V

 

On a ainsi eu ces dernières années "trop". Dont l'usage à tout va a définitivement gommé dans l'esprit des plus jeunes la connotation excessive du mot, qui rend son emploi dans la majorité des cas actuels absolument risibles & à contre-sens. "C'est trop beau", "trop bien", "trop génial", "c'est trop cool", etc. 8-O

 

Puis il y a eu (& il y a encore... bien que moins envahissant ces temps-ci) l'incoutournable "que du bonheur" ! Celui-ci aussi très difficile à supporter pour moi. Fut un temps où pas une journée ne se passait sans l'entendre dans la bouche d'une gourde hyper-tendance ou d'une mère de famille voulant rester "d'jeun" (!) & ne pas avoir l'air encore flétrie  & dépassée devant sa progéniture en pleine adolescence boutonneuse. La mode ayant été lancée à l'origine par un animateur télé (c'est dire le niveau de référence...).

 

S'en est suivie la période du "voilà". Particulièrement pénible car le mot en question était doté d'un double effet (un peu à la manière des bonbons KissCool ! :up: ). Non content d'être absolument ridicule, socle commun à tous les phénomènes de mode linguistique me direz-vous, ce mot avait en plus l'extraordinaire faculté de rendre chaque conversation parfaitement incompréhensible & absurde. Par quel procédé miraculeux ? Et bien le plus simplement du monde, en faisant office de points de suspension collés à l'endroit même l'on attendait un argumentaire qui aurait donné un sens aux propos tenus. Mais chaque phrase achevée par "voilà" prenait alors une dimension surréaliste pour tous ceux qui écoutaient, & se devaient d'imaginer eux-même ce que cachait le "voilà".

Le "voilà" était parfois agrémenté d'un "quoi". Pour donner "voilà quoi", tout aussi vide de sens & agaçant... :-x

 

Dernièrement, un mot qui m'a beaucoup plu ( :-? ) : "juste". Bien sûr, une fois encore n'attendez pas de cette mode linguistique qu'elle respecte les sens premiers du mot (qui, je le rappelle, selon l'utilisation qui en sera faite pourra signifier "équitable", "exact", "trop petit", "insuffisant"). Non !!!  la règle d'or de ces effets de mode étant, précisément, de siphonner le mot ou l'expression de tout son sens pour lui en réinventer un nouveau. Ainsi, "juste" s'est employé, un peu dans le style de "trop", pour tout & rien. On a donc eu "c'est juste énorme", "juste merveilleux", "juste dégueulasse", etc.

 

Une étude récente a mis en évidence qu'une partie non négligeable de la population française n'utilisait que 1000 à 2000 mots pour s'exprimer. On comprend bien pourquoi ces effets de mode n'ont aucune difficulté à s'imposer chez les gens, la pauvreté de vocabulaire étant au départ un appel à ces modes dans lesquelles peuvent s'identifier des groupes, qu'ils soient sociaux, culturels ou autres.

 

Tout est "cool", "grave", "trop" & plus rien n'a de sens ! Ces mots sont des baudruches sémantiques gonflés au point de dire tout & son contraire. "C'est grave" peut signifier "c'est merveilleux"... comme "c'est épouvantable" :-|

 

On peut d'ailleurs aisément observer de quelle manière certains politiques se servent de ce manque de culture linguistique pour "faire peuple" & entrer plus facilement dans les familles. Laissant croire aux gens qu'ils sont comme eux, puisqu'ils parlent comme eux...
La manipulation de la novlangue est bel & bien une réalité palpable de nos jours & personnellement, je ne doute pas que cet appauvrissement linguistique soit le résultat d'une volonté féroce de garder les électeurs sous contrôle. Les programmes télévisés, les émissions dont le niveau rase les pâquerettes œuvrent à chaque instant dans ce sens, & ce, dès le plus jeune âge. Ou tout du moins, si ça ne résulte pas d'un schéma précis orienté dans ce sens là, il me parait évident que cela arrange bien les affaires des hautes instances dirigeantes. Car quoi de plus difficile que de manœuvrer un peuple trop savant, qui n'hésitera pas à réfléchir & à contredire ce qu'on lui présente comme autant de vérités.

 

 

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13 commentaires à “Vers la novlangue ?”

  1. Ink dit :

    Excellent article. En ce moment, le mot qui fait fureur, c’est « genre ». Je ne supporte pas!

  2. Syïlis dit :

    Ni une ni deux, je continue sur la lancée : les adolescents qui s’adressent à d’autres adolescents ajoutent bien souvent « gars » à la fin de leur réplique, comme pour rappeler à l’interloqué que c’est à lui que l’on parle. Une fois n’est pas plus dérangeante que ça, mais à toutes les phrases (sauf la 36 ème) c’est absolument insupportable.
    -« Et gars, qu’est-ce tu fais ce soir gars ?
    – Bah rien et toi gars ? »

    Sinon il y a aussi le « Bah ». « Bah c’est normal », par exemple, ou alors :
    -« Où as-tu rangé le DVD de John Doe ?
    – Baah il est sur la table du salon. »
    Comme s’il s’agit d’une évidence que le DVD de John soit sur la table du salon… je le trouve insupportable ce « bah ».

    Bon quoi qu’il en soit, c’est vrai que cet article est bien, certainement grâce à l’emploi pertinent de la référence de science-fiction :smile:

  3. Syïlis dit :

    Je m’excuse d’avance pour les guillemets qui ont préféré se fermer plutôt que s’ouvrir ainsi que pour mon subjonctif raté à « Comme s’il s’agissait ».
    Honte à moi, j’entends déjà le courroux divin briser les sphères de l’insaisissable pour venir me hurler ma peine jusque dans le creux des oreilles.

  4. Véro dit :

    Qu’est-ce que je m’amuse aujourd’hui§
    Que de bonnes et saines lectures.
    Je suis confondue par ton article . J’aurais pu écrire le même tant je suis en rogne contre l’usage « déplacé » d’un certain nombre de mots. Mea Culpa aussi car malhheureusement j’en use parfois pour tenter d’établir un lien, notamment avec le monde qui m’entoure (au travail!).
    Alors ben oui, heuuuuuu c’est là, et ça déteint aussi : à force d’entendre les mêmes ritournelles, tu les enregistres, sans effort, et elles squattent…
    Il n’empêche : c’est souvent que les gens me jettent un oeil torve quand à la fin d’un récit (hi!) je lance un : « Je n’ai pas tout compris là! Qu’est-ce que tu veux dire par…XYZ? ».
    J’essaye de ne pas le faire tout le temps parce que, quand même, je comprends le message, mais souvent c’est plus fort que moi!
    VOILA!

  5. Moens dit :

    Et l’adjectif « Génial » employé à toutes les sauces, ça fait déjà longtemps que ça m’horripile…
    Le pire c’est que tout ce pauvre vocabulaire a l’air d’être devenu obligatoire dans les séries télé dès qu’il s’agit de mettre en scène des « djeunes ».

  6. Zangao dit :

    Ces « mots » identifient ceux qui n’ont pas d’identité. Grâce a leur emploi répétitif ils pensent s’incorporer à un clan, un groupe, une fonction. Mais au rythme ou s’abat le non langage il ne restera bientôt que l’échange par écran interposé……… en SMS bien sur

  7. Exetias dit :

    La question qui se pose alors est : « Comment faire pour que son enfant, même si il lit souvent (ce qui est en passe de devenir extrêmement rare), ne soit pas trop influencé par ces phénomènes qui utilisent les écoles (et tout autre lieu de rassemblement récurrent) comme vecteurs de propagation ?

  8. Rainbow dit :

    Pour ma part je trouve ça plutôt drôle. Le langage est, au même titre que les vêtements ou la musique qu’ils écoutent un moyen pour les enfants et les adolescents de se reconnaître entre pairs, de s’intégrer dans un groupe ou de choisir de s’en démarquer. Comme toute mode, ça finit par passer et un mot ou une expression à la mode est vite remplacé par un autre. C’est souvent marqueur d’une « époque » comme par exemple:
    -Qu’est ce que c’est que ce « binz »?
    -c’est le ouaille ici !
    -c’est un truc de ouf !
    -ça le fait genre. ou ça le fait grave.
    -regarde moi ce mia qui fait le kakou.
    -ça me prend la tête. (imagé, mais tellement vrai je trouve pour dire ce que l’on veut dire)

    Mais j’avoue qu’au quotidien, quand on entend la même expression 3556 fois, ça exaspère aussi.
    Mon fils m’énerve en ce moment parce qu’il abrège les mots. Au début ce n’était qu’une façon de parler, maintenant c’est devenu quasi automatique, par exemple:
    -« désole » ! pour dire désolé.
    -« oque » pour dire Okay
    -« sale » pour dire « salut »

    J’en passe et des meilleures… ça crée parfois des quiproquos qui le font beaucoup rire. :roll:

  9. anne-laure dit :

    l’expression à la mode en ce moment c’est « gavé » : tout est gavé : gavé rigolo, gavé bête …
    J’ai expliqué à ma Z de 9 ans ( et à sa soeur de 6 ans qui semble Z aussi) que c’est les oies et les canards qui sont gavés (on habite en Aquitaine, ça fait partie de notre culture) et que je ne voulais pas entendre ça à la maison.
    J’ai l’habitude depuis toujours de reformuler toutes leurs phrases pour qu’elles parlent un français correct … ce qui n’est pas facile entre la « novlangue » et les formulations issues du patois du type « dis-me-le » (à la place de « dis le moi »). Certains déplorent mon côté « maîtresse d’école » mais tant pis

  10. babbaluci dit :

    Tout à fait d’accord avec Zébrounet ET avec Rainbow. Si, si, c’est possible. De ces temps-ci, j’enrage particulièrement contre le mot « societal » qui est très à la mode dans certaines sphères socio-politico-économico universitaires de préférence, d’où il diffuse dans les media. J’ignore s’il aura un jour la consécration des « people ». Par contre, j’adore utiliser moi-même certains de ces mots à la mode, genre ça fait chebran :)
    P.S. Un petit mot pour Anne-Laure. Combattre les formulations erronées issues du patois, soit. Mais on est déjà en train de tuer à petit feu les dialectes et les patois qui ont beaucoup de richesses :oops:

  11. babbaluci dit :

    Que pensez-vous du quatrième plus rapide d’Europe, ou du troisième plus gros (producteur, p. ex.), du deuxième meilleur pianiste d’Asie :-D … j’avoue ma perplexité quand on arrive au premier … premier quoi? plus rapide d’Europe? meilleur pianiste d’Asie? plus gros producteur de bêtise? LOL



:) :-D 8) :oops: :( :-o LOL :-| :-x :-P :-? :roll: :smile: more »

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