Apparence & spéculation
Quels parents n'ont jamais été gênés lorqu'un jour leur petit leur a fait part à haute voix, avec la candeur de l'enfance, de la peur que cette dame lui inspirait parce qu'elle était laide, ou encore de la peine qu'il avait à regarder ce monsieur tout vieux & ridé ?!
L'apparence est la première chose que l'on remarque chez l'autre, elle est en quelque sorte "l'introduction" d'un être, mais elle conditionne également la manière dont on va envisager l'autre. Elle façonne l'attitude que l'on adoptera face à lui & le regard que l'on posera sur cette personne, déjà teinté, sans même en prendre conscience la plupart du temps, de préjugés
Cette première impression, en grande partie fondée sur une poignée de petits éléments que nous avons pu percevoir de l'autre sera élaborée en fonction de nos propres critères de beauté, de bon goût, d'attirance, de séduction. Ou au contraire des petits éléments à tendance négative, rébarbatifs, voire totalement repoussants !
En quelques instants à peine, la personne que l'on a en face de nous sera scannée, analysée puis cataloguée, comme placée dans un petit tiroir en attente ... la plupart du temps !
En attente de quoi ? d'une confirmation ou d'une infirmation de ce rapide ressenti initial. Et pour ce faire, on passera en revue autant d'infimes détails qui feront echo de manière tout à fait inconsciente à nos propres valeurs purement subjectives, puisque toutes personnelles.
De cette opinion originelle dépendra l'envie d'aller plus loin dans la rencontre, ou pas.
Tout le monde se fait un premier avis en rencontrant quelqu'un pour la première fois. Ce n'est pas quelque chose dont il faut avoir honte car c'est naturel & humain. Je pense qu'il est tout à fait normal d'éprouver un sentiment, quel qu'il soit, au contact de quelqu'un.
Cependant aussi naturel soit le fait d'éprouver une émotion au contact d'un étranger, notre intelligence & notre éducation nous amènent, en théorie, avec l'âge à savoir garder cette première impression pour nous. On apprend à la considérer comme un indice, ou une couleur qui sera vérifiée par des investigations ultérieures plus poussées.
On apprend à la taire, tout simplement, & à ne plus dire de manière abrupte, comme chacun l'a fait un jour étant enfant, ce que l'on ressent face à quelqu'un, parce que c'est incorrect. Mais parvient-on pour autant à aller au delà de cette seule apparence
La première émotion qui nous a gagné lors de la rencontre avec l'autre arrive-t-elle réellement à céder la place, en toute transparence & en toute honnêteté, à une analyse plus profonde de la personne qui se trouve en face de nous, sans se laisser imprégner & manipuler par nos peurs inconscientes, nos a prioris & nos normes ?
En effet quoi de plus injuste qu'être jugé sur ce qu'on laisse paraître, sur ce que les autres peuvent percevoir de nous & qui n'est pas toujours en adéquation avec la vision qu'on peut avoir de notre propre corps, visage ou style ?!
Notre aspect physique est précisément quelque chose qui nous échappe, que l'on ne maîtrise que très modérément... voire pas du tout ?! Et comble de l'ironie, c'est pourtant cette partie de nous qui est affichée, comme exhibée, de façon permanente. Où qu'on aille, quoi que l'on fasse, notre allure nous précède. Quel que puisse être notre verbe, il sera perçu à travers le prisme déformant de notre physique.
Or, même s'il est possible d'améliorer (ou de détériorer !) jusqu'à un certain degré son image par les vêtements, le maquillage, le sport, la chirurgie esthétique ; il n'en demeure pas moins que chacun de nous est tributaire de ses gènes & du patrimoine remis par ses parents. On ne choisit pas ses traits, pas plus que les préjugés qui peuvent aller avec !
Comment accepter d'être réduit à une simple apparence & classifié, étiqueté en fonction de détails physiques. Cela est, me semble-t-il, toujours source de souffrance, plus ou moins grande selon les gens. Qui peut dire être pleinement satisfait de son apparence ? La raison de cette insatisfaction est souvent les clichés qui vont de paire avec les "défauts" que l'on se voit. Ou comment les diktats d'une société façonnent nos vies, nos espoirs & nos frustrations.
La blonde souffrira toujours au fond d'elle d'être taxée d'écervelée, le gros se sentira observé & raillé à chacun de ses repas, l'homme précieux sera cantonné au rang de gay maniéré, la belle fille pomponnée se verra collée une étiquette de pute à la recherche d'un riche compagnon, le bigleux tiendra inévitablement le rôle de l'intello frustré, etc.
Cela commence dès le plus jeune âge De manière inconsciente l'enseignant va privilégier l'enfant beau. Instinctivement il assimilera la beauté à l'intelligence, à la gentillesse & accordera à cet enfant au physique agréable une stimulation & une attention plus grandes. Il sera aussi plus indulgent envers lui qu'envers d'autres enfants plus ingrats de visage
Le monde dans lequel nous vivons juge, lui aussi, les citoyens en un coup d'oeil. A la différence près que ce jugement, selon qu'il soit plutôt favorable ou non, conditionnera bien des choses dans la vie de ces personnes, constituant une très violente forme de discrimination. De notre apparence dépendra dans certains cas les portes qui s'ouvriront à nous, ou resteront fermées.
Le regard des autres nous construit, mais peut aussi nous déruire, ou tout du moins nous faire beaucoup de mal, s'il ne correspond pas à ce que nous sommes, ou ce que nous voulons être, réellement.
Parole de critique : une première impression est toujours la bonne, surtout quand elle est mauvaise.
Henri Jeanson
Ainsi, une étude sociologique a mis en évidence l'incidence de la beauté dans la montée en grade des soldats américains. A diplômes & compétences égales au sortir d'une grande école, ceux dont le visage est soit très beau, soit jovial, connaitront des opportunités de poste très intéressantes & des évolutions permanentes & rapides. A l'inverse ceux dont l'allure est à tendance ingrate, les visages secs, durs, ou encore laissant entrevoir une obèsité, végéteront dans des situations professionnelles beaucoup moins enviables. L'armée promeut ainsi ceux dont le physique correspond à un certain type de beauté américaine, une apparence s'approchant le plus possible des gueules que l'ont peut admirer dans les séries télé & les films. Vision idéalisée & lisse de "l'american dream" ! Les visages doivent être beaux & cohérents avec les implicites renvoyant une image forte, virile, rassurante, stable.
De même, une autre étude réalisée dans les coulisses des tribunaux démontre que la clémence est très souvent de mise face à un accusé au physique avenant & séduisant. La beauté amène la bienveillance, la tolérance & tend à faire pardonner plus facilement ce que la laideur, ou tout du moins l'absence de beauté particulière, amènerait à condamner avec plus de fermeté & d'intransigeance. Exactement de la même manière que la maîtresse d'école sera plus souple avec les manquements des élèves arborant les plus jolis visages.
Les sociologues s'accordent à estimer à 65 % la part d'informations passant par des perceptions visuelles.
Selon une étude menée par deux psychologues américains, l'impact que nous avons sur quelqu'un dépend à 55 % de notre seul visage, à 38 % de notre voix & seulement à 7 % de ce que nous disons
Bien entendu, il ne suffit pas d'être beau ou séduisant pour réussir, ce serait beaucoup trop simpliste & binaire. Mais si ce n'est pas la seule variable, c'en est une parmi d'autres, à prendre en considération dans la société actuelle.
Si les critères de beauté ont beaucoup évolué avec les époques & les civilisations, il existe aujourd'hui une étonnante convergence, d'un bout à l'autre de la planète, sur ce qu'est une "belle" personne. Une uniformisation de la pensée préoccupante.
Des chercheurs se sont appliqués à fabriquer en images de synthèse des visages composites à partir de visages réels. Ce sont des visages "moyens" & symétriques. Or, quand on montre le visage composite au milieu des photos réelles, c'est toujours celui qui est désigné comme étant le plus "beau".
Autrement dit la moyenne est considérée comme une forme de perfection, & la norme est la même pour tout le monde. On peut donc considérer qu'il y aurait une redoutable forme de mondialisation des apparences.
Une étude soumettant des visages à des anglais, puis des japonais a mis en avant qu'ils manifestaient exactement les mêmes préférences. Il en va de même pour la silhouette : cette étude pointe du doigt une norme implicite incontestable (& définie, par exemple, pour les femmes, par un certain rapport taille / hanches).
Cette norme est très probablement fabriquée & entretenue par l'industrie du cinéma, par les médias. Ces images de people stéréotypés & retouchés à grand coups de bistouri & Photoshop nous envahissent, & sont aujourd'hui érigées au rang de références ultimes en terme de beauté, de minceur, de réussite. L'étude fait même le constat alarmant de la diffusion à l'échelle planétaire de certains standards & codes de gestuelle !
On peut en outre se poser la question suivante : quelle est la place faite au caractère unique & authentique d'une forme de beauté non-standardisée dans tout ça ?
Reste-t-il un moyen d'échapper aux normes, au jugement porté si par malheur ces codes imposés ne sont respectés, ou s'ils sont volontairement rejetés ?
L'individu a-t-il encore de nos jours le droit d'exister librement, en dehors de toute forme stéréotypée de personnalité ou d'intelligence Ou bien faut-il, pour avancer & vivre dans ce monde, correspondre en tous points à ce que les autres attendent de nous, en fonction de notre apparence physique ?
A quoi est supposé ressembler un surdoué ? A quoi est supposé ressembler une personne dans la norme ?
Les gens sont bien plus qu'une apparence, un vêtement, une coiffure ou une paire de lunettes. L'identité d'un individu, toute la richesse de son coeur & la profondeur de son âme ne se réduisent pas à sa posture ou sa gestuelle.
Les yeux sont aveugles. Il faut chercher avec le coeur.
Antoine de Saint-Exupéry, le Petit Prince
5 commentaires à “Apparence & spéculation”
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On ne peut qu’applaudir à ce billet qui dénonce le rôle prépondérant de l’apparence dans nos société, et au delà, la question de la norme. Il faut être comme ci, se comporter comme ça, penser comme ça…Et ceux qui s’éloignent trop de cette norme sont marginalisés.
Mais comment lutter?…Je condamne moi-m^me les diktats de la beauté, mais suis la 1ère à complexer si mon image s’éloigne de la norme imposée. On est rattrapé par le formatage ambiant.
S’imposer différent, dans quelque domaine que ce soit, c’est tentant, mais c’est se marginaliser davantage. D’où la solitude du zèbre.
Merci Ink
« Je condamne moi-m^me les diktats de la beauté, mais suis la 1ère à complexer si mon image s’éloigne de la norme imposée. On est rattrapé par le formatage ambiant. »
Comment ne pas opiner ?! Je suis moi aussi ds ce cas, je condamne ces diktats mais j’aime « la beauté ». J’aime la mode, j’aime me maquiller, me sentir jolie, etc.
Je suis sensible, en tous cas, à une forme de beauté que l’on m’a proposée, à un moment donné, & que j’ai fait mienne. Une forme de beauté définie selon des critères qui au départ ne sont que conceptuels, car finalement, que ce que la beauté humaine ? Elle n’est que ce que l’homme a pu en faire. Aucun autre animal ne chercher à être beau, ni n’est jugé par son espèce pour sa « beauté ». Il est, point !
Mais comme tjrs en effet, la solitude du Z vient des questions qu’il se pose, & donc des refus de suivre « la masse » qu’il manifestera dans certains cas, refus qui ne marginaliseront plus encore…
Bien vu! mais n’oublions pas que les canons de beauté ne sont pas innérant à la modernité et photoshop…depuis l’antiquité, au moins, dans les sociétés occidentales, nous somme sujets aux héros et déesses aux proportions en or! Certes, ça en est désolant, mais peut être est-ce le propre de l’être humain de s’identifier de tendre vers quelquechose que nous jugeons de beau…j’avais lu un article scientifique qui proposait une théorie entre le brassage génétique et la recherche du beau chez l’autre sexe. Bon, plutôt élitiste, plutôt déprimant…
Quand aux animaux, je ne suis pas sûre que le sens de la beauté leur soi nul: entre les parades amoureuses à démontrer qui à le plus beau ramage, ou la tête de ma chienne quand elle sort de l’eau telle un rat mouillé, j’ai mes doutes
Petite anecdote sur la « beauté ». On regardait avec mon petit frère voici quelque années un Colombo (1ère saison) avec Peter Falk, qui n’est pas vraiment dans les canons de la beauté communément admise, c’est le début, il conduit, et mon petit frère dit tout à coup ce que j’ai en tête : « qu’est ce qu’il est beau… »
En racontant ça à ma mère, elle a été très étonnée… (Peter Falk louche puisqu’il n’a qu’un oeil, est petit, un peu vouté… mais vraiment, dans ce cadre là, c’était « beau » le terme qui venait le premier à l’esprit)
Comme quoi, la beauté est parfois très inattendue.